LES PRINCIPES DU SOL VIVANT
SOUS NOS PIEDS, LES TRAVAILLEURS DE L’OMBRE
Et si on parlait un peu du sol ?
Vous ne le savez peut-être pas, mais vous marchez tous les jours sur un véritable trésor : le sol. Le sol, c’est d’abord une fine couche variant de moins de 10cm à quelques dizaines de mètres de profondeur. En pédologie, la science ayant pour but d’étudier la formation et l'évolution des sols, on s’intéresse aux différentes couches, également appelées horizons, qui forment le sol. Lorsque l’on parle d'agriculture, le terme de terres arables est également utilisé.
Si l’on s’intéresse à sa composition, le sol est généralement formé de 3 constituants :
50% de vides, ou de pores, qui sont remplis d’air ou d’eau,
45% de matière minérale, ce sont les argiles, les limons, les sables et les cailloux,
et environ 5% de matières organiques, mortes ou vivantes, issus des végétaux, des animaux et des microorganismes.
Jusqu’à récemment en agriculture, le sol a surtout été considéré comme un support inerte pour les cultures. Les études récentes et les résultats obtenus par des agriculteurs pionniers nous prouvent pourtant tout le contraire. Le sol participe activement à rendre de nombreux bénéfices aux sociétés humaines, appelés aussi services écosystémiques. Arrêtons-nous un instant sur certains d’entre eux afin de rendre ses lettres de noblesse au sol, ce grand oublié de la révolution verte.
Un formidable réservoir de biodiversité
Sous nos pieds, ça grouille ! Et pour mieux vous en rendre compte, voici quelques chiffres qui devraient vous en convaincre. Au rang des microorganismes, et pour ne citer qu’eux, on estime qu’une cuillère à café de sol contient environ 1 milliard de cellules bactériennes de 100 mille à 1 million d’espèces différentes, et 1 million de champignons de 1 à 100 mille espèces différentes. A cela s’ajoute également un tas d’autres microorganismes : nématodes, protozoaires, microarthropodes, etc… En milieu non perturbé, la masse de tous ces microorganismes est estimée à environ 6 tonnes par hectare.
Si l’on s’intéresse maintenant à la macro biodiversité, celle que l’on voit, il est un symbole que l’on ne peut négliger : les lombrics, plus communément appelé les vers de terre. Si l’on pesait tous les êtres vivants de la Terre, ils représenteraient au minimum la moitié de la biomasse animale terrestre non aquatique, hommes et animaux compris. C’est considérable, et cela signifie que parler de biodiversité sans parler du ver de terre, c’est en éluder la majeure partie. Quantitativement, si l’on délimite une surface au sol d’un hectare, la population de référence de vers de terre pèsera entre 1 et 3 tonnes par hectare, selon les contextes pédoclimatiques.
Toute cette vie souterraine doit être comprise comme le socle d’une pyramide, d’un enchaînement de relations mangeurs-mangés constituant un réseau trophique souterrain gigantesque et trop souvent sous-estimé. C’est grâce à cette véritable jungle souterraine que tout le développement de la biodiversité aérienne repose : les insectes, les oiseaux, les petits mammifères et les plus gros. Sans une microbiologie riche et variée dans le sol, pas de nourriture pour les petits invertébrés, qui vont nourrir des organismes plus gros, et ainsi de suite.
Le sol au service de la lutte contre le dérèglement climatique
Les sols sont classiquement qualifiés de « puits de carbone ». Estimé à 6000 gigatonnes, ils contiennent le plus grand stock de carbone organique de la biosphère continentale. A titre de comparaison, l’atmosphère contient environ 800 gigatonnes de carbone sous forme de dioxyde de carbone, le CO2, soit environ 7 fois moins.
Nous avons vu en introduction que les sols sont constitués d’environ 5% de matière organique, mieux connue de tous sous le vocable d’humus. Cet humus, c’est avant tout du carbone. Pour bien le comprendre, il faut regarder de plus près du côté du mécanisme de la photosynthèse. A quelques exceptions près, les plantes sont les seuls êtres vivants à réaliser la photosynthèse. Cette réaction chimique leur permet de synthétiser des sucres, c’est-à-dire de la matière organique, en utilisant l’énergie du soleil, de l’eau et du carbone minéral : le CO2 de l’atmosphère. Autrement dit, les plantes ont la capacité, grâce à la photosynthèse, de transformer le CO2 atmosphérique en matière organique, qu’elle va ensuite utiliser pour son propre métabolisme et fabriquer ses tissus, ses feuilles, ses racines, etc…
Lorsqu’une feuille ou une branche est déposée sur le sol et forme une litière, elle va évoluer de manière dynamique dans le sol pour être décomposée par notre jungle d’organismes souterrains et être stockée plus ou moins durablement. L’humus, c’est le résultat de la transformation par l’activité biologique des résidus de végétaux restitués au sol. Cette matière organique, nous l’avons vu, elle est avant tout constituée de carbone. Nos chères énergies fossiles si problématiques dans nos sociétés actuelles ne sont que le résultat de ce processus. Le charbon ou le pétrole, ce n’est rien d'autre que de la matière organique produite par des végétaux et fossilisée dans le sol à une époque où la biodiversité des sols ne permettait pas de la décomposer. On parle d’ailleurs de carbonifère pour décrire l’ère géologique durant laquelle les principaux stocks de charbon ont été formés en Europe de l’Ouest. Ce qui nous intéresse dans ces énergies fossiles, c’est qu’elles sont très riches en molécules carbonées dont on peut tirer une grande quantité d’énergie, que nous rejetons à nouveau dans l’atmosphère sous forme de dioxyde de carbone, le CO2, et qui pourra de nouveau être captée par une plante au cours de la photosynthèse.
En cultivant des plantes photosynthétiques, l’agriculteur à un impact direct sur le potentiel de stockage de carbone de ses parcelles. De ce point de vue, les sols qui restent nus la plupart de l’année sont donc des non-sens, car l’on réduit drastiquement le potentiel de stockage de carbone de l’écosystème cultivé. Que cela soit à l’échelle du champ ou du paysage, il faut donc chercher à couvrir les sols 365 jours sur 365 par une plante, pour intensifier la photosynthèse et le stockage de carbone dans les sols. Depuis quelques années, de nombreuses initiatives cherchent à promouvoir des pratiques favorisant le stockage de carbone dans les sols. Citons par exemple le projet 4/1000 initié en 2015 lors de la COP21, d’après lequel le fait d'augmenter le stock de carbone du sol de 0,4% par an permettrait de compenser l’augmentation des émissions de CO2 dans l’atmosphère.
Le sol fertile : point de départ de la production agricole
Au début de la production agricole, il y a toujours le sol. La qualité et la fertilité de ce dernier est une variable majeure de la production et du rendement que l’on sera en mesure de tirer des plantes qui y poussent. Un sol fertile peut être défini comme un sol en capacité d’assurer les services écosystémiques qui lui sont attribués. Parmi ces services, on retrouve notamment la propension à faire pousser des plantes en bonne santé. On peut également parler d’auto-fertilité du sol, c'est-à-dire la capacité d’un sol à maintenir et entretenir de lui-même sa fertilité, afin de permettre aux plantes, via leurs racines, d’y puiser et d’y retrouver les facteurs permettant leur croissance.
La fertilité du sol est classiquement étudiée sous trois angles. Tout d’abord, la fertilité physique du sol est principalement caractérisée par sa fraction minérale. La proportion de sables, de limons et d’argiles va donner la texture du sol. Cette dernière est déterminante dans son fonctionnement global, car elle va conditionner directement sa structure, sa porosité ou encore son régime hydrique. La fertilité chimique est conditionnée par la quantité d’éléments minéraux contenus dans le sol pour nourrir les plantes, dont l’azote, le phosphore et la potasse sont les éléments les plus célèbres et scrutés de près par les agriculteurs. Enfin, la fertilité biologique est principalement caractérisée par la vie du sol. Les interactions biologiques, les relations symbiotiques et la stimulation de l’activité biologique de manière générale sont des facteurs clés de la santé du végétal.
Les techniques agricoles qui stimulent la fertilité naturelle du sol sont des leviers permettant d’enclencher le cycle de l’autofertilité afin que le sol puisse faire pousser des plantes en bonne santé :
Un stockage et un filtrage de l’eau pour préserver sa qualité
Des plantes développant des symbioses avec la biologie du sol pour être en capacité de se défendre face aux agressions extérieures
Une maximisation des rendements
Une résilience du système de production dans sa globalité face aux aléas climatiques
Une dépendance moindre vis-à-vis des intrants.
Menace sur les sols
Tous les rôles cités précédemment dépendent de cette mince couche, véritable épiderme fragile et indispensable pour supporter la vie terrestre. Bien que fragile, la fraction organique, même dégradée, peut être reconstituable à l’échelle d’une vie humaine. C’est loin d’être le cas pour la fraction minérale. On considère en effet que 10 000 ans sont nécessaires pour former un sol d’une épaisseur de 1 à 2 mètres. Le sol est donc globalement une ressource non-renouvelable, qu’il convient de préserver.
A ce titre, rappelons que, entre 2006 et 2015, on estime que 600 000 hectares de terres ont été artificialisées en France, soit l’équivalent d’un département comme le Var. De même, l’érosion des sols est un phénomène trop régulièrement sous-estimé et passé sous silence, qui fait cependant planer sur les sols une menace alarmante. Lorsque l’on constate des eaux de ruissellement boueuses en sorties de champ, c’est bien une partie de la fertilité du sol qui quitte définitivement la parcelle et qui ne pourra pas être renouvelée.
Pour y remédier, il est urgent de repenser nos modèles de production agricole et de s’appuyer sur des leviers qui ont fait leur preuve pour améliorer la fertilité naturelle du sol : l’agroforesterie, la couverture végétale des sols, les amendements organiques (fumier, compost, broyats de déchets verts, etc…), ainsi que la réduction du travail mécanique du sol et l’abandon du labour profond. Autant de techniques de protection et de régénération des sols qui permettront d’enclencher le cycle de l’autofertilité afin que ces derniers soient en mesure de fournir les services écosystémiques attendus par le producteur et la collectivité.